Je regarde rarement les nouvelles. Leur cocktail de faits divers sordides pèse lourdement sur mon âme introvertie et douée d’empathie. J’ai le malheur de ressentir la peine et la souffrance des autres, certainement pas avec la même intensité que ceux qui la vivent, mais assez pour assombrir mes pensées, assez pour m’empêcher d’ignorer. Cette façon d’être fait de moi une personne qui a beaucoup de mal à trouver sa place dans ce monde et même dans l’Église, avec l’indifférence collective qui gagne de plus en plus de terrain. J’en arrive à envier ceux qui ont la capacité à « zapper » sur le malheur ambiant, à faire la sourde oreille et à retourner à leur vie comme si de rien n’était après avoir été informés de la souffrance des autres. « Que pouvons-nous y faire de toutes façons? » , disent-ils. «Culpabiliser ou en perdre le sommeil ne changera rien à leur situation », se défendent-ils; « Je vais prier pour eux. », avancent les hyper-spirituels fuyants. Et puis tous passent à autre chose. Quand l’indifférence est le bouclier des hommes, l’amour-propre leur glaive et l’égoïsme leur destrier, à quoi bon chercher pourquoi tout va si mal sur Terre ? demandait Pierre Josset. Oui, comment s’étonner alors que tout aille de plus en plus mal et que la lumière de Christ luise si faiblement, non seulement sur la terre, mais aussi dans nos églises occidentales ? Pour ma part, et comme le disait Martin Luther King, ce qui m’effraie désormais le plus, ce n’est pas l’oppression des méchants, mais c’est l’indifférence des bons.
Porter la souffrance du monde est certes bien trop lourd pour les frêles épaules humaines et il n’a jamais été demandé à personne de le faire. Un Seul a pu, un Seul l’a fait : Christ.
Oui mais voilà. Même s’Il a été le seul à pouvoir la porter, Jésus nous a tout de même laissé un devoir non optionnel à ses disciples : le devoir de présence, celui d’être des consolateurs qui accueillent la souffrance des autres et qui les aident à porter leur fardeau. Mais c’est un ministère de plus en plus négligé dans nos sociétés hyper-individualistes. On se donne toutes sortes de prétextes pour fuir les autres lorsque le malheur les frappe, comme si ce dernier était contagieux. Ou alors, on se contente du minimum syndical pour pouvoir apaiser nos consciences et cocher la case dans la To-do list quotidienne du « bon chrétien ». Le ministère de présence n’a pas la côte, car être présent c’est prendre le risque de voir de bien trop près une souffrance qu’on appréhende pour nos propres vies. Mais dans cette fuite, on tue peu à peu ce qui fait de nous des humains et ce qui est censé nous caractériser en tant que chrétiens.
L’indifférence est un poison que nous fait boire notre confort personnel. Il fige le cerveau avant de tuer le coeur. — Stéphane Owona
Et pourtant, s’il est une chose qui a caractérisé le ministère de Jésus durant trois ans, c’est bien sa présence. Il était présent auprès des malades, des prostituées, des marginaux de la société et même des morts ! Il était présent dans les lieux les plus obscurs, dans les quartiers mal famés. Il s’est lié d’amitié avec des gens que tous rejetaient ou méprisaient dans sa société, des collecteurs d’impôts aux lépreux, en passant par les enfants et par les femmes à la mauvaise réputation. Il était présent pour l’humanité jusqu’à son dernier souffle, lorsque sur la croix Il a demandé pardon en notre nom. Jamais Jésus n’a détourné le regard sur la souffrance de ceux qu’Il croisait ou sur le malheur qui pesait sur nous, pécheurs. Son ministère était celui de la présence, et la présence peut et doit aussi être notre ministère.
Nous avons connu l’amour, en ce qu’il a donné sa vie pour nous; nous aussi, nous devons donner notre vie pour les frères. — 1 Jean 3:16
Mais se peut-il que nous ayons beaucoup trop compliqué les choses ? Lorsqu’on donne comme prétexte à notre absence, le fait de ne pas savoir quoi dire ou quoi faire, se peut-il que notre définition contemporaine de l’impact ne soit finalement qu’une couverture à notre besoin de nourrir notre égo? Face à la souffrance d’autrui, quel besoin doit compter le plus? Celui de la personne qui souffre ou notre besoin personnel d’avoir eu une part visible dans son rétablissement? Quand nous décidons de fuir l’autre dans son malheur, se peut-il que ce soit parce que nous craignons de faire face à nos propres limites et à notre propre insuffisance? Dans notre obsession de l’impact, nous chrétiens oublions malheureusement que Christ nous appelle avant tout à être des canaux à travers lesquels c’est Lui qui opère, pas forcément nous. C’est dans nos limites humaines que sa force se manifestera au profit de ceux pour qui nous nous serons disposés à être présents.
Se montrer présent revient donc avant tout à se disposer à être un instrument de la consolation de Dieu pour l’autre, à être un porteur de sa grâce et de son amour que nous ne faisons que transporter à la manière d’un vase, dans le but de contribuer à une atmosphère propice à la restauration de l’autre. Nous n’avons donc pas toujours besoin de « faire » pour l’autre, nous sommes d’abord appelés à « être » pour l’autre.
Être une oreille, être une épaule, être le photophore qui transporte la lumière de Christ qui éclairera les ténèbres de l’autre, voilà ce qu’est le ministère de la présence.
Ainsi, « donner notre vie pour les frères » ne se fera pas de manière littérale pour la majorité d’entre nous. Mais « donner notre vie pour les frères » en rendant visite à un malade isolé, en offrant de faire du baby-sitting à une jeune mère épuisée, en décrochant son téléphone pour prendre des nouvelles d’une amie endeuillée, en rendant visite à un retraité esseulé, en offrant le cadeau de l’écoute patiente, compatissante et sacrificielle à une personne en souffrance sans porter de jugement sur les raisons de cette dernière… voilà autant de manières de « donner notre vie pour nos frères ».
À ceci tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous avez de l’amour les uns pour les autres. — Jean 13:35
Tous ces exemples de présence reviennent donc à une seule chose : l’amour. C’est la seule chose qui révèle réellement la présence de Christ en nous. Cessons donc de nous trouver des prétextes pour justifier notre indifférence, Dieu n’est pas dupe. Osons être le type de chrétiens qui offre généreusement le cadeau de la présence dans les temps troubles. Nous ne pourrons peut-être pas faire une différence majeure dans la souffrance générale du monde, mais nous aurons fait une différence majeure dans la souffrance de quelqu’un, une personne à la fois, une journée à la fois.
Un jour, très certainement, ce sera à notre tour d’avoir besoin de cette présence et nous serons bien contents d’avoir à nos côtés, des personnes qui exerceront ce ministère de manière désintéressée et sacrificielle.
Portez les fardeaux les uns des autres et accomplissez ainsi la loi de Christ. — Galates 6:2
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