Hospitalité et culture

Il y a quelques temps, j’ai surpris mes garçons dans une discussion passionnée. Ils tentaient tour à tour de se souvenir des sensations que leur avait procuré un repas pris quelques jours auparavant en famille dans un restaurant de Montréal. À les entendre, on aurait juré qu’ils avaient les plats sous leurs yeux et les fumets du repas qui s’élevaient encore vers leurs narines ! Les souvenirs liés à la nourriture sont décidément les plus marquants, du moins dans ma famille ! Et pour moi, c’est l’un des éléments fondamentaux d’une belle hospitalité, non par la quantité et la variété des plats qu’on est capable de présenter à nos invités, mais plutôt par la capacité que la nourriture a de bien disposer les coeurs et de les inviter à s’ouvrir, quelque soit la culture.

J’ai vécu dans quatre pays et quatre cultures assez différentes et si j’ai bien appris une chose, c’est que la définition de l’hospitalité varie souvent. Seule reste stable, l’impact de la nourriture dans les rencontres et dans les connexions.

En Afrique par exemple, mon enfance a été marquée par les immenses tablées préparées par les femmes de la famille à Noël et à Pâques. Dès l’aube, mères, filles, tantes et cousines se retrouvaient dans les cuisines pour préparer l’énorme repas qui serait ensuite partagé pendant de longues heures autour de la grande table en bois fabriquée par mon père. J’étais souvent de corvée de dé-plumage de poulets ou de dépeçage de vipère ou de couleuvre rapportées de Boumyebel par mon père. Le destin de ces dernières ? Mijoter dans un bon Mbongo Tchobi accompagné de plantains mûrs, de macabos ou de Bakoa’a kogo. J’aimais particulièrement ce temps de l’année, le seul où mon père m’autorisait à boire un verre du délicieux vin de palme fraîchement récolté par mes oncles et cousins. Plus tard, après avoir décoré de guirlandes en papier mon petit sapin de fortune provenant d’une branche de pin généreusement offerte par les Parker, nos voisins anglais, je m’empressais de dresser la table et de disposer les nombreux plats : taboulé garni, oeufs mimosa, salades composée, Binsia (plantains frits), l’incontournable Mfiang Ndock de ma mère accompagné de son Ntumba (plantain pilé), bars et maquereaux à la braise accompagnés de bâtons de manioc et de sauce piment, Ndolè au boeuf et crevettes avec ses miondos, Sanga’a que je noyais dans le sucre, poulet braisé et/ou à la sauce tomate avec du riz sauté, Zo’om (sorte d’épinards sautés) avec ou sans arachides, mets de pistaches et, les bonnes années, un mets d’arachides pour mon plus grand plaisir ! Il me suffit de lister ces plats pour en sentir encore les odeurs, plus de vingt ans plus tard. Mais je me souviens surtout de l’ambiance générale qui rendait cette journée si spéciale dans mon coeur de jeune fille. L’hospitalité ici était marquée par ces temps de cuisine collective qui réconciliait la famille. On s’accueillait et on se pardonnait sans même avoir besoin d’échanger le moindre mot. Il n’était plus question d’aborder les différends qui avaient pu nous opposer durant l’année. Tout le monde s’accordait tacitement pour faire de cette journée, un mémorable temps de partage et de dégustation. Chacun contribuait à la hauteur de ses moyens et la journée se vivait et s’achevait dans la joie, les estomacs bien repus. Ces moments sont ceux qui me manquent le plus depuis que j’ai quitté ma terre natale…

De manière générale, quand il s’agit de recevoir, la coutume en Afrique est de cuisiner tout le repas avant l’arrivée des invités de sorte à rester disponible pour ceux-ci. Les invités plus audacieux (impolis?) n’hésitent pas à apporter un sac en plastique pour faire le plein de restes, des restes parfois généreusement offerts mais souvent discrètement dérobés. En Afrique, l’hospitalité rime avec satiété. Et c’est certainement de là que je tiens ma logique de toujours associer hospitalité et nourriture.

Direction l’Allemagne. Je n’y suis pas restée suffisamment longtemps pour en explorer toutes les coutumes hospitalières, mais une chose m’a choquée dès mon arrivée : Oui, les Allemands invitent, mais rarement chez eux et très souvent au restaurant. Mais surtout, méfiez-vous ! L’invitation pour les Allemands se limite à vous proposer chaleureusement d’aller ensemble au même endroit. Une fois sur place, sachez que vous devrez payer votre part ! Les serveurs vous poseront systématiquement cette question, même si vous avez clairement l’air en couple : “zusammen oder getrennt (ensemble ou séparément)” ? Si donc vous êtes une pauvre étudiante aux poches vidées par le loyer et les factures comme je l’étais, assurez-vous toujours de bien savoir qui paiera la note lorsqu’un Allemand vous invite. Pour eux, c’est tout naturel et culturel, mais pour vous cela peut causer un véritable choc. L’hospitalité pour l’Allemand consiste dans le temps qu’il offrira de partager avec vous, sa disponibilité pour vous à un moment bien précis. Vous passerez un bon moment, mais vous paierez votre part.

Direction la France et sa fameuse “Bonne franquette” ! En France, on invite, on partage. Dans les années 80 quand j’y ai grandi, l’approche était plus du type : ” Je cuisine et tu viens manger.” Généralement, les invités apportaient un bouquet de fleurs à l’hôtesse et/ou une bouteille de vin. De nos jours, même si cette approche demeure, la tendance est de plus en plus au repas collectif : chacun apporte un élément du repas (entrée, plat ou dessert ) et on partage le tout. L’essentiel c’est d’être ensemble et de perdre le moins de temps possible à faire la popote. L’hospitalité se manifestera donc surtout par la disponibilité et par notre capacité à interagir avec nos invités.

Direction le Canada où je vis depuis maintenant sept ans. Encore fortement empreinte de ma conception africaine de l’hospitalité, j’ai souvent été indélicate sans le vouloir avec mes invités, ou prise de surprise lorsque j’étais invitée chez les autres. Invités une fois chez des frères et soeurs en Christ, nous nous sommes retrouvés parents et enfants à cuisiner tout le repas ensemble avant de pouvoir passer à table. J’ai été fascinée par cette approche, mais ce fût surtout une grande leçon pour moi de voir cette soeur faire confiance à mes jeunes enfants dans sa cuisine plus que je ne l’avais jamais fait. Ils étaient heureux et si fiers de découper les légumes et même de les goûter ! Je n’en croyais pas mes yeux ! Ce fut un des plus beaux moments de nos débuts au Canada.

Une autre fois, un couple de l’église s’est spontanément proposé de venir dîner chez nous après le culte. Prise de court, les seules choses  auxquelles je pensais, c’était à mon frigo vide et à ma maison laissée en désordre. Ils ne nous ont pas vraiment laissé le choix et ils ont bien fait ! Un saut rapide à l’épicerie pour prendre une salade César, une baguette de pain, un poulet rôti, une tarte aux pommes et une bouteille de vin et tout était plié ! L’adepte de la planification que je suis était abasourdie par leur promptitude et leur spontanéité. Ils m’ont sorti de ma zone de confort pour la bonne cause. C’est aussi l’un des plus mémorables moments fraternels que j’ai vécu depuis notre arrivée.

Dans le cadre du ministère, nous organisons des tables où les femmes sont invitées à venir partager un repas déjà préparé pour elles. Pour autant, l’une d’elles est arrivée une fois avec un sac plein de nourriture, rien de surprenant quand on connaît sa grande générosité ! Et je ne compte plus le nombre de fois où les invitées m’ont demandé ce qu’elles pouvaient apporter. Au début, j’ai trouvé cette question irritante, pour finalement comprendre que c’était tout simplement culturel. Au Québec, les gens se sentent accueillis quand ils peuvent contribuer, et l’hospitalité passera donc par le fait de leur offrir la possibilité de contribuer concrètement à l’occasion qu’on leur offre. Depuis, j’ai appris à accepter les propositions de contributions qui me sont faites. Mieux, je réalise aussi qu’elles allègent la charge et cela m’encourage à inviter plus souvent, sachant que je n’aurai pas à tout cuisiner toute seule.

Mais mes vieilles habitudes ont la peau dure. Je demeure une grande adepte de la réception à l’africaine et mon plus grand bonheur, c’est de voir les gens se sentir chez moi comme chez eux. L’une des scènes les plus marquantes de mes sept années dans ce pays a été de voir un de mes invités réguliers se diriger spontanément vers mon réfrigérateur, tout en me parlant, pour aller chercher du beurre ! Ce n’est qu’une fois la main sur la porte qu’il a réalisé qu’il n’était pas chez lui et m’a demandé, embarrassé, si j’avais du beurre pour son morceau de pain. Il ne l’a jamais su, mais cette petite scène cocasse a fait sourire mon âme et c’est l’un des plus beaux témoignages qu’il m’ait rendu à ce jour : il se sent bien chez moi, il se sent chez moi comme chez lui.

J’ai donc appris qu’en matière d’hospitalité et de culture, il est important de saisir les nuances et de s’adapter tout en conservant précieusement ce qui fait notre particularité. Accueillir l’autre, c’est accepter que sa façon de faire soit différente de la nôtre et voir cette différence comme une richesse et non comme un obstacle. Accueillir l’autre, c’est aussi l’inviter à la découverte de notre culture sans pour autant la lui imposer bon gré, mal gré. En s’y prenant avec humilité, amour et patience et en acceptant certains compromis (comme de ne pas trop épicer votre repas traditionnel quand ceux à qui vous souhaitez le faire découvrir ne sont pas habitués aux épices !), on s’aperçoit vite que l’être humain a une saine curiosité qui rapproche même les cultures les plus opposées.

Pour ma part, je veux rester ouverte aux autres cultures tout en continuant de chérir ce qu’il me reste de la mienne. Quand je reçois, je veux pouvoir apprécier les dons de présence qui me sont faits tout en offrant la mienne dans sa version la plus authentique qui soit. Christ nous a commandé d’aimer les autres et d’exercer l’hospitalité. Si ma culture et mes traditions m’aident à atteindre cet objectif, tant mieux. Mais si elles m’en éloignent, alors en tant que chrétienne, je dois être capable d’en revoir humblement certains aspects. Au final, ce qui comptera vraiment, ce n’est pas l’extase de mes invités à la dégustation de mes plats exotiques. Ce qui comptera, ce sera l’accueil que j’aurais fait à leur culture, l’amour et le respect que je leur aurais manifestés malgré nos différences. Et de toutes les façons, en Jésus-Christ, il n’y a plus qu’une seule culture qui compte : celle de l’amour.

Photo de Streetwindy Photography provenant de Pexels

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1 Commentaire

  1. Gina Oum

    Ces temps nous manquent aussi beaucoup! On se reprendra bientôt, Dieu voulant! 😉

    Réponse

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